Najib Mikou

On ne cesse de nous rappeler dans un ton plutôt péjoratif, que notre tissu économique est constitué à plus de 95% de TPME, mais on ne nous dit jamais que les Économies européennes qui sont nos principaux fournisseurs et clients, sont au moins à ce niveau là, et que les grandes puissances asiatiques et les États-Unis d’Amérique, sont autour de 80%.

C’est dire que ce qu’on croit être le point faible de notre Économie et l’entrave majeure à nos ambitions de croissance et de développement, est pour les grandes économies mondiales un atout, un moteur de leur puissance économique.

La faute n’est par conséquent, pas à notre tissu économique, mais plutôt à notre logiciel de management de ce tissu. C’est ce qui explique et justifie l’essentiel de la différence sur cet aspect et le peu d’impact de nos réformes.

Oui la vision sectorielle est nécessaire, oui la réforme fiscale et des marchés publics est incontournable, oui la Charte d’Investissement est une grande avancée, oui la décongestion du climat des affaires est essentielle, oui l’industrialisation est inéluctable, oui le régime incitatif à l’export doit être revu au regard de ceux de nos concurrents, oui le rétrécissement et la modernisation des circuits de distribution sont indispensables, oui nous avons de grandes entreprises championnes, oui nous avons des TPME et des Coopératives performantes, mais le niveau de notre croissance économique enregistré jusqu’à présent, nous rappelle cruellement que les efforts considérables et complémentaires déjà accomplis ou dans le pipe, n’ont pas été suffisants pour faire basculer notre tissu économique de son rythme arithmétique actuel, peu fécond, vers celui géométrique qui fera toute la différence.

Nous devrions nous rendre à l’évidence que jamais dans une Économie mondialisée, marquée par une concurrence féroce et à armes inégales, des entreprises et coopératives atomisées n’arriveraient chacune dans son coin, à maitriser leurs coûts des facteurs, à être compétitives quand bien même chez elles, et à pouvoir accéder aux commandes publiques et privées à l’échelle nationale, et encore moins à l’échelle mondiale.

Le “code perdu” jusqu’à présent dans le logiciel de management de notre tissu économique consiste par conséquent, à mutualiser les efforts de chacune, particulièrement dans deux fonctions majeures : la fonction “Approvisionnement” et la fonction “Commercialisation”.

Pour ce faire, il s’agira de créer plusieurs Sociétés privées de Mutualisation des Approvisionnements et de Commercialisation (SMAC) au modèle des Sogo Shosha japonaises qui ont vu le jour au lendemain de la 2ème guerre mondiale et qui ont fait la grandeur économique de cette puissance asiatique puis principalement de l’Allemagne, de la Grande Bretagne et des États-Unis. Les Sogo Shosha japonaises représentaient l’essentiel du tissu économique de ce pays jusqu’au milieu des années 90 où une grande partie d’entre elles sont devenues purement et simplement des … multinationales.

La mutualisation des achats des intrants permettra à nos TPME de mêmes segments, d’avoir des produits de grande qualité, à meilleur prix et à des conditions optimales de paiement. Ce qui agira d’une façon significative, décisive, sur leur compétitivité et sur leur santé financière.

La mutualisation de la commercialisation sur des marchés et des segments particuliers aussi bien au Maroc qu’à l’international, est de nature à permettre à nos TPME d’accéder aux moyennes et grosses commandes, d’élargir leurs marchés, leur chiffre d’affaires et leurs bénéfices, de grandir, de recruter, de s’internationaliser et de se développer.

À deux différences près, ce même modèle devrait être dupliqué aux coopératives et GIE de l’Economie Sociale et Solidaire. Il provoquera une véritable révolution industrielle dans le monde rural et fera basculer ce secteur-gisement de très grandes potentialités dormantes, de sa vocation strictement sociale, vers un véritable levier de croissance et de développement et une source considérable de revenus dignes et durables pour nos populations rurales.

Les deux différences précitées, consistent à lui greffer deux canaux stratégiques en amont à cibles différentes :

︎ • la création de Centres locaux et régionaux de Collecte et de Valorisation des produits de terroir (CCV), dûment certifiés par les Autorités Compétentes, qui confient leurs approvisionnements et la commercialisation de leurs produits finis aux Sociétés de Mutualisation des Approvisionnements et de la Commercialisation (SMAC);

︎ • la création de Centres locaux et régionaux de Collecte et de Distribution (CCD) de la matière première végétale, directement des producteurs aux industriels agro-alimentaires qui pâtissent de son renchérissement provoqué par des intermédiations négatives qui ont fortement nuit à plusieurs filières de production dans ce secteur hautement créateur de richesses, d’emplois et d’exportation, jusqu’à contraindre nos producteurs à les abandonner et nos industriels à désespérer du produit local et à s’en approvisionner à l’étranger alors que notre pays en était l’un des leaders mondiaux.

Il est utile de souligner ici que l’Espagne a pu multiplier par cinq ses exportations agro-industriels dans une période de dix ans, grâce à la mise en place desdits CCD.

Le Capital des sociétés SMAC des TPME et des Coopératives de l’Economie Sociale et Solidaire, devrait être détenu respectivement en bonne partie par les TPME et les Coopératives elles-mêmes qui sollicitent leurs services dans les deux fonctions précitées. Le reste du Capital pourrait être détenu par des fonds d’investissement et des opérateurs privés nationaux et internationaux capables de leur apporter une valeur ajoutée réelle soit en intrants soit en opportunités commerciales.

L’objectif ultime de ces sociétés serait d’être côtées en bourse pour gagner en crédibilité, en importance et en transparence, pour en faire une source de financement de leur développement et un moyen d’ouverture de leur Capital aux investisseurs nationaux et étrangers.

C’est ainsi que nos TPME, nos Coopératives et notre Économie gagneront en dynamisme, en résilience, en vaillance, en croissance, en développement, en exportations et en recrutements massifs.

Ceci dit, qui devra faire le 1er pas pour enclencher cette dynamique ?

Outre évidemment le gouvernement et les différentes représentations du privé, des opérateurs volontaires et d’autres d’ici et d’ailleurs, qu’il faudra pousser. Les deux devant être des hommes et des femmes pressés qui ont la rage de vaincre, la prise de risque dans les gênes, le Maroc dans l’ADN, le flair des atouts et des opportunités, la hauteur de l’international, les espérances du local, la connaissance du terrain, la maitrise des leviers, la capacité de faire autrement, l’intime conviction que notre destin économique n’est pas écrit, la force de l’égoïsme positif.

Bref, des leaders économiques, des locomotives TGV, des bulldozers, des commerçants dans l’âme, des vainqueurs. Nous en avons en grand nombre dans tous les secteurs, dans tous les domaines. Nous avons tellement d’atouts que nous pouvons attirer même des opérateurs étrangers qui ont suffisamment de savoir-faire et de fonds pour ce faire. L’Etat doit les soutenir sans hésitation, sans limite.

Le défi majeur étant de vaincre le temps pour forcer et réussir ce basculement propulseur de notre pays parmi les dragons de la prochaine décennie qui commence … aujourd’hui.