À en croire des voix et des plumes qui foisonnent par-ci et par-là, le postcorona sonnera et résonnera la fin d’une planète mondialisée, où les pays ont délocalisé toute activité non compétitive sur leur sol, pour un retour aux États forteresses, attachés à leur souveraineté dans tous les domaines, quel qu’en soit le prix.


Najib Mikou, Consultant en Prospective et Etudes Stratégiques.

Najib Mikou, Consultant en Prospective et Etudes Stratégiques.
Coronavirus oblige, personne ne veut plus entendre parler d’une Chine lointaine qui fournit l’essentiel du monde, du fin détail de ses besoins domestiques, jusqu’au plus complexe de ses besoins technologiques. Personne ne veut plus être tributaire d’un fournisseur étranger, trop loin qui plus est, pour disposer de ses médicaments, de ses masques, de ses boulons, de ses pneus, de ses ordinateurs, de ses pièces de rechange, de ses briquets, de son riz, de ses frigidaires, de ses balais, de ses moteurs, de ses ventilateurs et j’en passe. L’on ne parle plus que de relocalisations à outrance ou à défaut, de relocalisations de Chine mixée avec délocalisations partielles dans la périphérie immédiate des pays “relocalisateurs”.

Outre les pertes considérables et déplorables en vies humaines, la pandémie du Coronavirus a eu l’effet d’un tsunami économique cataclysmique, d’une ampleur pire que celle des films noirs de science-fiction, ayant entraîné pour le moins, un désastre psychologique et social et une turbulence sans précédent, au niveau du pilotage politique dans chacun des États, à commencer par les plus puissants.
Sans vouloir basculer vers de la voyance politico-économique, tellement chacun s’impatiente à vouloir savoir à quoi ressemblerait le monde d’après, il est nécessaire de rappeler une vérité et de partager une complexité, avant de tenter une projection de l’avenir proche.
 

  • Pour la vérité, les ”déménagements” d’industries de la Chine, parce que c’est bien de la Chine qu’il s’agit, est un processus qui a été enclenché par les grandes multinationales depuis au moins dix ans. Il a même été attisé davantage avec l’avènement de M. Trump à la tête des Etats-Unis d’Amérique.
L’on assiste depuis lors, à un redéploiement vers d’autres pays asiatiques tels que le Vietnam, le Bangladesh, le Népal, la Malaisie, l’Indonésie et même l’Inde. Sans compter les quatre NPI qui font partie aujourd’hui des pays développés, à savoir la Corée du Sud, Singapour, Taïwan et Hong Kong.

Il est à préciser que ce processus ne s’est pas mis en place par la seule volonté des occidentaux pour réduire un tant soit peu, leur dépendance de la Chine, mais également par la bénédiction de la Chine elle-même, qui va au-delà de contingences tactiques, pour l’inscrire dans le cadre d’une vision autrement plus stratégique, édictée par la donne du coût de plus en plus élevé du travail chez elle, et par sa “Route de la soie” qui traverse déjà plus de 55 pays où elle a injecté des centaines de milliards de dollars d’investissement.
 

  • Quant à la complexité, les relocalisations ne se décrètent malheureusement pas par coup de baguette magique et des abracadabra. Elles se mesurent par leur opportunité réelle, leur coût, les nouveaux bassins d’accueil potentiels et le temps qu’elles devraient prendre pour devenir effectives.
Le monde est allé bien trop loin dans une logique de division du travail, de coût de revient, de compétitivité et de prix, qui va au-delà du seul aspect économique et financier, déjà très favorable pour l’Asie, pour avoir des imbrications et des soubassements politiques et sociaux très complexes.
 
  • Concernant la tentative de projection de l’avenir proche, rien n’est évidemment jamais immuable, il n’y a même d’éternel que le changement. Mais le retour du Monde au point de départ en faisant le trajet parcouru en marche-arrière, n’est pas seulement inconcevable, il est suicidaire, hors de prix à tous points de vue et miné d’embûches. Et par conséquent, rien ne pourra le justifier, quand bien même un Coronavirus aussi dévastateur. L’enjeu est civilisationnel. L’humanité n’avance jamais à reculons. Elle le fait par accumulations progressives et non par déconstructions compulsives. C’est juste le temps du futur qui change de vitesse.
Après la fièvre du Coronavirus, la terre restera assurément, incontestablement dans son orbite, les retours massifs au bercail originel, de grandes enseignes internationales, n’auront pas lieu et les superpuissances rebondiront de plus bel, quoiqu’avec des égratignures ou écorchures ou même de profondes cicatrices pour les uns, et des plumes et des griffes de plus pour d’autres.

Le background et les enjeux sont tellement grands, tellement imbriqués, que personne n’a la capacité ni les conditions réunies en sa faveur aujourd’hui, pour enterrer l’autre. Chacun a même peur de perdre son ennemi du moment, de peur qu’il ne se retrouve seul face au chaos ingérable. Chacun est en train de compter ses moindres pas, alors même qu’il est noyé jusqu’au cou dans cette affreuse et puante mélasse provoquée par ce maudit Coronavirus. Mais, est-ce à dire que rien ne va changer, alors que les ravages sont inédits, tout comme les amateurismes dans la propagation et la gestion de ce Coronavirus?!!

Au vu de ce qui précède, des changements auront évidemment, inéluctablement, inévitablement lieu, mais pas dans le sens des bouleversements épidermiques annoncés ou revendiqués. Les Etats changeront tout pour que rien de structurellement profond ne change.

L’essentiel des changements prévisibles et même nécessaires, se fera bien plus dans le sens d‘une meilleure sécurisation que d’une relocalisation de l’approvisionnement des marchés internationaux et d’une ”remondialisation” plus juste que d’une mondialisation de dupes.
L’exigence des Etats se fera dorénavant sur ces deux registres :
 

  • Corona ou pire que Corona, toutes les conditions doivent être réunies et assurées pour que l’amont production et la supply chain soient totalement fiables, verrouillées, imperturbables.
Le niveau d’exigence et donc d’effort, sera par conséquent, porté sur les pays fournisseurs qui seront jugés sur leur capacité à se conformer à des cahiers de charges normalisés, très contraignants et très stricts. C’est à ce prix, et seulement à celui-ci, que les pays importateurs pourront se protéger contre l’imprévisible et rassurer leurs citoyens aujourd’hui affolés par l’amateurisme découvert subitement à cause du Coronavirus.
  • La mondialisation va graduellement cesser d’être un marché de dupes, dont profitent quelques nations au dépend de tout le reste. L’on assistera plutôt à une ”remondialisation” qu’à une ”démondialisation”. Les Etats-Unis d’Amérique iront jusqu’au bout dans leur guerre commerciale avec la Chine pour en tirer … les moindres pertes pour elles. La priorité et la préférence nationales referont surface et gagneront du terrain au fur et à mesure, au grand profit des économies nationales. La propriété intellectuelle sera plus jalousement protégée. Les accords multilatéraux et bilatéraux seront davantage revus et corrigés, et par conséquent, des barrières tarifaires vont être de nouveau érigées à des niveaux différenciés, face aux importations, aussi bien pour protéger et développer les productions nationales existantes, envisager des perspectives de réactivation de celles qui ont disparu, que pour engranger des recettes fiscales nécessaires aux équilibres budgétaires. Les barrières extratarifaires, seront, elles aussi, davantage sophistiquées et remises à l’ère du temps pour assurer tous les rôles qu’on leur assignera
Ceci dit, les mouvements de redéploiements ciblés et non de relocalisations massives, vont continuer tel que cité plus haut. Les uns pour des raisons de réduction de dépendance du monofournisseur pour moult raisons, les autres pour des considérations d’expansion et d’infiltration géostratégique.

Quelles qu’en soient les raisons des uns et des autres, de grandes fenêtres d’opportunités vont s’offrir à notre pays avec justement les uns et les autres, de Pékin à Washington. De même que de grandes perspectives s’ouvriront à notre pays grâce à une ”remondialisation” apaisée, et lui permettront notamment, de développer et renforcer ses performances économiques.

I- Nos sept atouts majeurs :

Le Maroc est aujourd’hui, plus que jamais auparavant, un carrefour d’atouts multidimensionnels considérables. Il compte à lui seul, au moins les sept atouts majeurs et complémentaires ci-après, dont plusieurs pays réunis ne disposent pas, et qui lui permettent de cocher les principales cases de stabilité, de sérieux, de crédibilité, de fiabilité, d’expertise et de constance, nécessaires au choix de bassins de redéploiements alternatifs stratégiques par les différentes puissances économiques mondiales :

1- Il a pour lui sa position géographique d’ancrage, d’intime proximité et de passage obligé avec l’Afrique, l’Europe, le Monde Arabe, l’Amérique et l’Asie. Sans rappeler que l’éloignement aujourd’hui n’est plus spatial, il est temporel et donc en termes de transit time, le Maroc est à quelques heures et quelques jours des recoins du monde les plus éloignés.

2- Il a pour lui sa stabilité politique bien assise et garantie par son régime politique plusieurs fois centenaire et fortement ancré dans sa culture indélébile, bien plus que dans sa nature. Ce qui fait de lui un partenaire sûr et constant qui rassure les décideurs financiers et commerciaux internationaux.

3- Il a démontré au Monde combien il est capable d’anticiper, de gérer, de réagir, de tenir avec la force de ses mains, de ses compétences et de son sens du devoir et du don de soi, la pire crise qui puisse s’abattre sur l’humanité, sur lui, alors qu’il n’est ni une superpuissance économique ni énergétique. Ce qui renforce considérablement sa crédibilité et son capital confiance à l’international.

4- Il a pour lui son ouverture économique et commerciale sur le monde à travers des Accords de Libre Échange avec l’essentiel des grands marchés mondiaux. De même qu’il s’est fait la main des décennies durant, sur les marchés les plus exigeants au monde en termes de régularité d’approvisionnement en qualité et quantités, et a par conséquent, beaucoup gagné en image en tant que partenaire crédible et fiable. Ce qui renforce considérablement sa position dans tous les partenariats triangulaires qui peuvent être bâtis entre différentes zones commerciales du Monde.

5- Il dispose d’infrastructures financières, autoroutières, portuaires, aéroportuaires, de télécommunications, des plus performantes au monde, le prédisposant à jouer le rôle de Hub financier, logistique et commercial de premier choix.

6- Il a des infrastructures de production aussi bien agricoles qu’industrielles, qui rivalisent en termes de process de qualité, avec des pays développés. Sans occulter ses capacités de production exprimées et dormantes qui dépassent de très loin ses réalisations actuelles et font de lui un producteur et pourvoyeur de choix des grands marchés internationaux.

7- Il a une population et une jeunesse, tout aussi tolérantes et ouvertes à ”l’étranger”, que prêtes à mordre pour produire, investir, s’en sortir, gagner de l’argent, avancer vers un nouveau cap de développement et de justice sociale.

II- Nos sept priorités stratégiques majeures :

Mais notre pays ne peut ni ne doit envisager son postcorona avec des yeux totalement rivés sur les seules fenêtres que lui ouvrirait le monde extérieur, et des moyens intégralement mobilisés au profit des seuls enjeux stratégiques et économiques mondiaux. Il a dans le même temps, besoin d’une vision qui intègre tous les socles stratégiques prioritaires pour ses propres populations et pour son statut d’Etat souverain. Les deux aspects étant d’ailleurs, complémentaires, se croisent et se renforcent mutuellement.

Notre pays doit nécessairement s’approprier les sept priorités stratégiques majeures ci-après, pour tenir ainsi compte, aussi bien de ses propres ambitions et obligations endogènes, que des changements en perspective à l’échelle mondiale, en termes de redéploiements et de ”remondialisation” :

1- le socle stratégique sanitaire pour protéger la santé physique et mentale de ses populations à travers une santé publique performante, gratuite et accessible. Mais encore pour développer un véritable écosystème de l’industrie sanitaire qui offre à nos concitoyens et aux marchés internationaux leurs besoins dans ce domaine.

2- le socle stratégique alimentaire pour subvenir à l’essentiel de nos besoins alimentaires et fournir aux marchés mondiaux nos produits frais biologiques, halal et conventionnels, nos produits végétaux et animaux transformés, nos produits de terroir qui jouissent de diversité et d’authenticité.

3- le socle stratégique énergétique pour disposer du seuil stratégique nécessaire en la matière, de ses propres outils de régulation et d’approvisionnement stratégique, pour étendre et développer davantage ses énergies renouvelables et adapter les infrastructures de leur acheminement vers le consommateur national et international.

4- le socle stratégique numérique en se dotant des infrastructures productrices du très haut débit et en accédant de plain-pied à l’ère de la digitalisation tout azimut, afin d’améliorer les performances de notre tissu économique, de profiter des très grandes opportunités du commerce électronique et de moderniser et fluidifier notre gouvernance publique.

5- le socle stratégique social en formant les ressources humaines nécessaires en nombre et en compétences pour doter nos secteurs économiques et sociaux, actuels et en perspective, des profils et effectifs idoines, et en mettant en place les outils adéquats de motivation pour les maintenir dans leur pays et pour convaincre le plus grand nombre de nos compétences nationales à l’étranger de rejoindre leur pays. De même que parmi les composantes du socle social, figurent le nécessaire bien-être, l’épanouissement et la joie de vivre individuels et collectifs, le transfert de la juste part du capital vers le travail, l’élargissement de la classe moyenne, le développement du monde rural, et la mise en place de filets sociaux à mailles très fines pour endiguer toutes nos vulnérabilités sociales.

6- le socle stratégique des réserves de change, en insufflant une véritable culture de l’export, en développant ses secteurs d’exportation actuels et en perspective, en élargissant d’une façon significative son offre touristique à son patrimoine culturel et à sa grande diversité florale, aux côtés du balnéaire, et en mettant en place tous les outils d’attractivité des fonds en devises, aussi bien de nos compatriotes résidents à l’étrangers que d’investisseurs étrangers potentiels.

7- le socle stratégique écologique notamment, en défendant la cause écologique au niveau mondial, en entamant la conversion de segments industriels en industrie verte, en développant un parc conséquent de mobilité verte, en réalisant les autoroutes hydriques et les centrales hydriques, et en renforçant notre parc forestier par la plantation et le renouvellement de millions d’hectares de forêts qui constitueront dans le même temps, le noyau focal d’un nouvel écosystème industriel.

Tout, absolument tout, prédestine le Maroc aujourd’hui, à transformer le “set” et faire du postcorona une véritable opportunité d’essor économique, de développement social et de positionnement international. Comment le dire, comment le crier suffisamment, comment en convaincre notre gouvernement pour qu’il prenne toute la mesure des véritables priorités stratégiques, potentialités et atouts de notre pays?!!!
Le futur proche ne doit être otage de nos complexes d’infériorité engouffrés, qui nous aveuglent, ni ligoté par des visions étriquées, ni hypothéqué par des approches sectorielles manquant de cohérence et de compatibilité, ni encore moins sacrifié à des replâtrages et rafistolages totalement déconnectés et décalés du temps politique, économique et social que nous vivons actuellement, et des espérances nées de tout cela.

Le message ne s’adresse pas moins à la Commission Spéciale du Modèle de Développement qui doit saisir toute la dimension des atouts et des ambitions de notre Monarque, de notre peuple, de notre Maroc. Pas moins que ceux-là.

Mais tout ceci ne suffira malheureusement pas si notre gouvernance globale ne se mettra pas en musique et au diapason des défis de la tâche, dans le cadre d’une démocratie ”génération 2.0”, fortement insufflée par le mode de gouvernance et les acquis de la crise du Coronavirus, que nul parmi nous n’est prêt ni d’oublier ni encore moins d’abandonner.

Les aspirations et espérances collectives actuelles, vont vers au moins autant de BNB (Bonheur National Brut) que de PNB (Produit National Brut), autant de justice sociale que de croissance forte et durable, autant de biens communs que de biens privés et de méritocratie, autant de Connaissances, d’intelligence, de diversité culturelle, de compétences et d’universalité que de biens matériels, autant de sérénité et de cohésion intérieures que de rayonnement international, autant de patriotisme, d’altruisme, de don de soi et de rage à servir LE MAROC que d’ambitions propres, méritoires et légitimes. Ce dont il s’agit là s’appelle un Etat, une Nation millénaires.