Face aux bactéries résistantes et aux virus mutants, la médecine espère trouver de nouveaux traitements en étudiant les processus évolutifs de l’humain… et des pathogènes qui l’habitent.

C’est l’histoire d’un rendez-vous manqué entre le père de la théorie de l’évolution, Charles Darwin, et celui de la microbiologie, Louis Pasteur. Le 3 août 1881, à Londres, en marge du 11e Congrès international de médecine auquel ils assistent, les deux scientifiques sont conviés à une réception donnée par le médecin attitré de la reine Victoria, sir James Paget. C’est là une occasion unique, pour ces deux savants alors au sommet de la gloire, de nouer un échange. Las ! Le dialogue n’aura pas lieu, peut-être parce que, côté français, les croyants dont fait partie Louis Pasteur regardent avec méfiance les travaux du naturaliste. Lequel mourra moins d’un an après l’épisode.

On sait pourtant que Charles Darwin avait une “admiration infinie” pour les recherches du Français, comme il le confessa dès 1863 dans une correspondance à son ami le botaniste George Bentham. L’histoire de ce rendez-vous manqué est contée en 2018 dans la revue Plos Biology par Pierre-Olivier Méthot, titulaire de la chaire d’Humanités médicales à l’Université de Laval (Canada), et Samuel Alizon, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’épidémiologie et de l’évolution des maladies infectieuses. “Pasteur et Darwin ne se sont jamais parlé, mais il est urgent que les champs qu’ils ont créés dialoguent”, insiste ce dernier.

Et pour cause : cent cinquante ans plus tard, pour ouvrir de nouvelles pistes de recherche, il ne suffit plus de savoir comment on tombe malade, il faut comprendre pourquoi. C’est tout l’objet de la médecine évolutionniste, en plein essor ces quinze dernières années, qui explore la coévolution de l’humain et de son patrimoine génétique avec son environnement et les pathogènes qui l’accompagnent : virus, bactéries, etc. L’enjeu, selon l’Académie de médecine qui se penche pour la première fois sur le sujet en 2009, est de “replacer le fait médical dans un cadre évolutionniste pour tenter de hiérarchiser le torrent d’informations biologiques qui nous submerge depuis l’avènement de la génomique”. Et rendre ainsi plus pertinentes les orientations de recherche.

Cet article est issu du magazine Les Indispensables de Sciences et Avenir n°208 daté janvier/ mars 2022.