Quel modèle social post-Covid-19 ? L’effet dévastateur du Covid-19 sur nos secteurs économiques et ses dégâts collatéraux sur le plan social, ont mis à nu les grandes lacunes de notre modèle social, marqué particulièrement par l’insuffisance criante des filets de protection au profit de nos populations démunies.

L’appel de Sa Majesté Le Roi à la mise en place d’un fonds spécial dédié notamment au soutien des populations précaires, a permis de venir au secours de 4,3 millions de ménages et d’en atténuer substantiellement les effets sur le moment présent.

Cette situation dévoilée au grand jour et dont la véritable dimension était très peu assumée par les chiffres officiels, nécessite de toute urgence, de revoir intégralement notre dispositif de filets sociaux pour qu’il soit à même d’assurer aux populations vulnérables, le seuil de dignité requis et ce, conformément à la nécessaire cohésion sociale et aux principes de solidarité et de communion qui ont toujours prévalu dans la société marocaine.

I- Quatre socles pour un modèle social juste et solidaire

Les véritables remparts contre toute forme de précarité sociale, de toute société juste et équitable qui s’investit à garantir à ses citoyens l’égalité des chances, les conditions nécessaires d’épanouissement personnel et professionnel, et une justice sociale génératrice de justice tout court, sont :

▪︎ un enseignement public marqueur indélébile des valeurs et repères de la nation, ascenseur intellectuel et social du citoyen, et facteur d’encrage du pays à l’universalité ;

▪︎ une croissance économique forte et durable, créatrice d’emplois massifs et de richesses conséquentes ;

▪︎ un système de distribution des fruits de la croissance, générateur de justice et de développement social ;

▪︎ un système de santé publique performant et soucieux de l’intégrité physique et mentale des citoyens.

Tout dispositif de filets sociaux, n’aura de rôle que d’en endiguer les carences et/ou d’en corriger les contre-performances.

II- Cinq composantes de filets sociaux étanches et complémentaires

▪︎ un revenu universel minimum (RUM) au profit des populations vulnérables ne disposant d’aucun revenu, parmi les catégories suivantes : les chefs de familles, les personnes âgées, les veuves, les femmes divorcées, les mères célibataires, les handicapés, les enfants abandonnés, les sans domicile fixe ;

▪︎ des logements privatifs et des centres d’hébergement collectif, appropriés et gérés pour le compte de l’État par des associations agréées par ses soins pour ce faire ;

▪︎ une adhésion systématique au RAMED sur la base d’une carte “Solidaire” à délivrer à cette population cible par les Services du “Registre Social”, permettant notamment, l’accès aux consultations médicales auprès de médecins conventionnés avec le RAMED et aux médicaments qui s’en suivent, auprès de pharmacies conventionnées avec le RAMED, et ce moyennant juste la présentation de ladite Carte “Solidaire” sans aucun complément de paiement.

▪︎ l’octroi d’une prime en début d’année scolaire pour l’achat des cartables, fournitures scolaires et tablettes aux enfants de toutes les personnes cibles. Ainsi que l’organisation de colonies de vacances à leur profit en fin d’année scolaire.

▪︎ une remise en marche de l’ascenseur social en faveur de ces populations en permettant :

  • l’accès préférentiel hors quota, dans le cadre d’une discrimination positive, de leurs enfants aux prestigieuses écoles de prépa et institutions d’enseignement supérieur au Maroc;
  • l’octroi de bourses de mérite pour les études à l’étranger des brillants parmi eux.
  • l’accès des femmes et des hommes dont l’âge le permet, à des cycles d’alphabétisation et/ou de formation professionnelle pour qu’ils apprennent un métier leur permettant de s’engager dans la vie professionnelle.

De même qu’ils doivent être prioritairement éligibles aux projets générateurs de revenus, portés par l’INDH ou toutes autres institutions publiques ou privées.

L’objectif prioritaire étant de mettre fin à terme, à la dépendance de toute catégorie de population ayant besoin d’une 2ème chance pour se prendre en charge elle-même.

La performance de nos filets sociaux devrait être jugée sur la base de l’indicateur du nombre de personnes parmi cette population, qui auraient pris leur envole par leurs propres ailes en autonomie totale de ces filets.

Quant aux catégories ou cas de force majeure de cette population cible, qui ne peuvent objectivement pas se prendre en charge par eux-mêmes, ils deviennent les pupilles de la nation et continuent de profiter naturellement et sans répit, des avantages des filets sociaux.

Car il est à souligner avec force, que le maintien en situation de vulnérabilité d’un nombre important de la population, ne peut être ni un objectif durable ni encore moins une politique publique, et que le propre de ces cinq composantes de filets sociaux est plutôt de faire redémarrer l’ascenseur social pour le plus grand nombre parmi cette population, afin qu’ils reversent dans les repères d’une vie normale dans une société normale.

Il est à préciser par ailleurs, que ces cinq composantes peuvent être activées ensemble ou en partie selon le profil de chaque catégorie des populations cibles.

III- Trois mesures d’accompagnement pour renforcer le dispositif et éviter le glissement de compartiments de la classe moyenne vers ces populations vulnérables

▪︎ la mise en place d’une TVA sociale à 0 pour les populations vulnérables et 7% pour la classe moyenne, sur les farines de blé dur et tendre, les huiles de table et d’olives marocaines, sucres, thé, médicaments, transports publics interurbains et écoles privées éventuellement, pour la classe moyenne.

Pour ce faire, et afin d’éviter tout apartheid social provoquant une dévalorisation sociale de quelle que nature que ce soit des vulnérables, dont la mise en place de commerces pour les pauvres et d’autres pour les riches, ou une généralisation de cet avantage à des populations qui ne sont pas dans le besoin, il est proposé que la carte digitalisée “Solidaire”, délivrée à la population cible par les Services du “Registre Social”, soit utilisée au niveau des points d’achats ou de prestations de leur choix pour profiter des exonérations ou réductions de TVA qui leur sont dédiées.

Ce même procédé devrait être adopté au profit de la classe moyenne qui devrait également disposer d’une “Carte Verte” auprès des Services du “Registre Social”, pour l’accès à ces mêmes avantages au prorata du niveau des avantages qui lui sont accordés.

▪︎ l’exonération des taxes liées à l’audiovisuel et aux catastrophes naturelles.

▪︎ l’accès à des prestations sociales de qualité irréprochable et gratuites, tel que les hôpitaux et les structures d’enseignement et de formation professionnelle.

Il est bien entendu que des dispositions spécifiques complémentaires doivent être prévues pour la classe moyenne, plus particulièrement au niveau fiscal et au niveau de l’accès au logement principal.

La construction d’une véritable classe moyenne très élargie et tirée constamment vers le haut, jouant pleinement son rôle de locomotive de tout développement humain et économique, et de toute stabilité sociale, a un prix que notre pays se doit absolument de payer pour ce faire. Le retour sur investissement multidimensionnel n’en sera qu’au-delà de toutes les espérances les plus optimistes.

Le coût économique et social de l’absence ou de l’étroitesse d’une classe moyenne fragile et tirée constamment vers la vulnérabilité, est autrement plus important à tous points de vue, que le prix à payer pour avoir une classe moyenne très majoritaire et robuste.

IV- Sources de financement du dispositif des filets sociaux

Le financement des filets sociaux est une œuvre et une responsabilité collectives, qui doit être portée aussi bien par l’État que par les populations nanties. Il y va de la cohésion et de la stabilité de notre nation, de notre pays. Et par conséquent, chacun doit y mettre du sien dans une logique de patriotisme, de citoyenneté et d’obligation morale.

De ce fait, il est proposé le dispositif de financement suivant :

▪︎ le produit d’un fonds appelé Fonds de Zakat (FDZ) strictement dédié à la collecte de la Zakat selon les préceptes de l’Islam.

Il est à préciser que les populations éligibles à donner la Zakat, ne seraient appelées à contribuer que par les 2/3 du montant dû, le 1/3 restant pouvant être affecté directement par la personne concernée, aux populations nécessiteuses de son milieu familial ou professionnel.

• le produit d’un 2ème fonds appelé Fonds de Citoyenneté (FDC) qui sera composé :

▪︎ des allocations familiales allouées jusqu’à présent aux ménages qui perçoivent des salaires cumulés de + de 30.000 dh/mois. Plus aucun ménage percevant ce niveau de revenu, ne peut prétendre aux allocations familiales; Les familles ayant des enfants handicapés, devraient bénéficier de dégrèvements fiscaux au niveau de l’IR en lieu et place des allocations familiales.

▪︎ du produit d’une taxe à instaurer sur tous les produits de luxe de toutes sortes et origines.

▪︎ du produit de l’excédent des revenus des Habous. Sachant qu’il est proposé par ailleurs, que tout l’actif des Habous doit être intégralement revalorisé par le redéploiement du produit de cet actif considérable, vers des investissements visant le même objectif, mais autrement plus rentables pour tous les affectataires concernés.

▪︎ du reliquat du fonds Corona.

▪︎ des fonds actuellement dédiés aux différents filets sociaux existants déjà.

▪︎ du produit des aides des fonds et institutions internationales spécialisées dans l’accompagnement des populations vulnérables à travers le monde.

▪︎ du produit de 1% des dividendes distribués aux actionnaires par les sociétés cotées en bourse, à partir d’un seuil de plus plus-value écartant les petits épargnants.

▪︎ du produit de 1% des plus-values réalisés sur toutes les transactions boursières à partir d’un seuil écartant les petits épargnants.

▪︎ du produit de 1% du résultat net des sociétés publiques et privées intervenant dans l’exploitation minière, les carrières de sables …etc.

▪︎ du produit de 1% du résultat net des sociétés d’importation et/ou de distribution de carburant.

▪︎ du produit de 1% du résultat net des sociétés de monopole et de contrats de vente garanties avec l’Etat.

▪︎ du produit de 1% du résultat net des grandes entreprises titulaires d’agréments de pêche hauturière

Les 2 fonds cités plus haut, devront profiter d’un régime d’exonération totale sur les impôts et les taxes de toutes sortes.
De même que ces 2 fonds, ainsi que la gouvernance de cette mission, doivent être confiés à un organisme paritaire public/privé, dont le Conseil d’Administration devrait être composé de membres du Conseil des Oulémas, de membres de la société civile, de représentants des donateurs et de représentants l’État.

Par Najib Mikou
Expert en prospective et études stratégiques