Najib Mikou 

Consultant en Prospective  et Etudes Stratégiques 

Des voix s’élèvent et résonnent de plus en plus en ces temps de réflexion sur le postcorona,  pour rappeler les gâchis et débâcles de notre pays en matière de production et d’exportation, et appeler à une politique industrielle qui mette fin à l’absurdité de choix et de comportements que l’on traine depuis les lendemains de l’indépendance.

Une politique industrielle qui soit basée, disent-ils, sur une substitution aux importations pour qu’elle soit enfin, porteuse de toutes les promesses de la nécessaire et urgente industrialisation du pays et d’une efficacité commerciale et financière.

De grandes et emballantes ambitions qui remettent à l’ordre du jour, un débat ancien de 60 ans, que notre pays a évincé, survolé, ce qui lui a coûté d’avoir raté un destin économique semblable à celui de la Corée du Sud.

Très beau, très utile débat, qui plus est, de la plus grande actualité. Notre pays n’aura pas de sitôt, une occasion aussi propice du remue-ménage-méninge planétaire, provoqué par le Coronavirus, pour le tenir et en tirer les meilleurs idées pour prendre enfin, le bon cap. Heureusement d’ailleurs, pitié plus de Coronavirus avant cinq siècles :-))).

Ceci dit, si le constat est sans équivoque, pour l’avoir moi-même fait, écrit et répété sans ménagement ni désespoir ni encore moins de résignation, depuis près de trente ans maintenant, sachant que la situation est restée malheureusement la même, je vais user de tout mon droit à la différence pour marquer ma divergence de fond sur la politique industrielle proposée ici et là. Ce sera tout le charme et tout l’intérêt du débat d’aujourd’hui que l’on n’a le droit cette fois, ni de repousser ni d’avorter ni encore moins d’occulter.

Je distinguerai dans cette tentative, entre une contradiction de fond à devoir dissiper, un repère constant à devoir rappeler, et une alternative à devoir partager.

1- Une contradiction de fond à devoir dissiper :

Comment notre pays peut-il ambitionner de se positionner dans ce qui bouillonne actuellement dans le monde, de vouloir profiter des redéploiements qui pourraient s’opérer, et dans le même temps, bâtir une stratégie industrielle sur la substitution systématique aux importations? La chose et son contraire. Tout miser sur une fabrication locale intégrale pour ne rien importer, et sur des exportations massives pour tirer profit du commerce mondial. Pas bête du tout !!!!

Et si chaque pays s’engageait dans la substitution?!!! Plus personne n’exporterait ni n’importerait plus rien, et donc il n’y aurait plus de Commerce Extérieur. Plus que des États forteresses qui se débrouilleraient avec les produits dont ils disposent.

La substitution aux importations est par définition, le bras opérationnel de l’autosuffisance intégrale et le bras armé contre toute forme d’ouverture et d’échange. Alors que produire c’est échanger et échanger c’est importer et exporter. C’est la seule logique humaine qui vaille et qui soit viable.

Il me parait nécessaire de rappeler ici à ce propos, que bien des usines dans des secteurs économiques de notre pays, continuent d’exister parce qu’elles sont exportatrices, sachant que la taille de notre marché local ne peut assurer à elle seule, leur rentabilité ni ne peut justifier leur nombre. Pour faire plus simple, l’export subventionne dans bien des cas, la consommation locale. Bien des usines et des secteurs auraient sinon, purement et simplement disparus et l’on aurait été en train d’importer des produits que nous produisons aujourd’hui en quantités critiques.

Non pas que notre pays ne soit pas capable de substitution aux importations, mais plutôt parce que l’échange, l’import-export, est par évidence, vital, nécessaire, fécond, enrichissant, formateur, porteur d’émulation, de diversité, d’universalité, de croissance, de développement et … de bonnes affaires.

Il faut juste que l’on soit suffisamment stratège et futé, pour en profiter pleinement et ne pas être le dindon de la farce. Le Monde des leaders, des meneurs, ne laisse aujourd’hui la moindre place aux Etats amateurs, médiocres, imbéciles. Il les relègue à la queue de la liste des suiveurs passifs, noyés dans le cercle vicieux d’exportation de produits non élaborés à bas prix, d’importation nette de produits à haute valeur ajoutée et excessivement chers, d’importation de dette et d’exportation de devises.

2- Un repère constant à devoir rappeler :

Faut-il rappeler ici que depuis que l’Homme a découvert la géographie, les voies maritimes et le troc, l’idée même de l’autosuffisance a cessé d’exister dans la réalité économique?!! L’histoire économique du Monde et … du Maroc pendant des siècles durant, en est l’un des témoignages les plus expressifs.

Si la substitution aux importations et son leitmotiv l’autosuffisance, était la panacée, pourquoi les grandes puissances économiques depuis la nuit des temps, ne l’auraient pas adoptée? Qu’est-ce  qui aurait empêché aujourd’hui encore plus, une Chine “atelier du Monde”, des États-Unis 1ère puissance économique du Monde, un Japon et une Allemagne grands génies du Monde, d’œuvrer pour une substitution pure et parfaite de leurs importations?!!!

Ce qui ramène à l’évidente tautologie que la substitution n’est pas une stratégie et ne peut encore moins, être une politique industrielle. Elle est au mieux, un slogan séduisant, une des formes de populisme économique sans sens ni consistance ni horizon.

Le corollaire obligé, de l’existence même d’Etats souverains et indépendants, a sans cesse était et demeure, l’échange de leurs différences matérielles et immatérielles, nées de spécialisations, de vocations, de divisions du travail ou encore de complémentarité. L’humanité a mis plusieurs siècles avant d’accéder au stade suprême de ce corollaire, qu’est la mondialisation, que l’on  s’investit aujourd’hui à remondialiser pour permettre justement, l’émergence d’industries nationales fortes et une équité dans les échanges commerciaux entre les pays.

3- Une alternative à devoir partager :

Notre politique économique et industrielle doit reposer à mon humble avis, sur trois priorités stratégiques majeures et complémentaires :

  • la création de valeur ajoutée locale optimale, sur l’ensemble de nos produits et services où nous nous distinguons par une vocation et/ou une capacité naturelle et humaine de les faire ;
  • la focalisation sur sept axes incontournables pour notre sécurité économique intérieure en tant qu’Etat, qui ont tous des ramifications significatives à l’export, à savoir la sécurité alimentaire, la sécurité sanitaire, la sécurité du savoir, la sécurité énergétique, la sécurité numérique, la sécurité écologique et la sécurité des réserves de change ;
  • le renforcement de notre compétitivité, aussi bien dans nos productions, dans leur valorisation, que dans les services qui leur sont rattachés, et ce, dans le cadre d’une intégration la plus poussée possible, visant un seuil stratégique optimal d’autosuffisance dans lesdits axes de notre sécurité économique intérieure, de même que des exportations encore et toujours plus massives.

Si notre stratégie industrielle qui doit être guidée, insufflée, par ces trois composantes, va inéluctablement impliquer plutôt de grandes intégrations par nos nationaux ou en joint-ventures ou encore en IDE, plutôt que des substitutions bêtes et méchantes, qu’à cela ne tienne. C’est même nécessaire, salutaire, dans plusieurs de nos segments de production et de service, pour justement développer un nouveau savoir-faire, avoir une meilleure emprise sur la chaine de valeurs, stimuler la compétition interrégionale, développer nos tailles critiques notamment dans le segment des Ressources et compétences Humaines, favoriser une valorisation optimale, élargir notre offre industrielle nationale et être compétitif dans notre propre marché intérieur et sur les marchés d’exportation ciblés.

Ceci étant, l’intégration selon cette logique, doit tout d’abord être elle-même compétitive pour être envisageable. On ne force plus l”intègration d’une économie par le subterfuge d’un renfermement épidermique sur soi au nom de quelle que raison que ce soit. On le fait en agissant notamment, sur les coûts des facteurs, en favorisant des mutualisations d’investissement et d’offres, en explorant des investissements croisés avec l’international, en mettant en place l’accompagnement pédagogique, fiscal, incitatif approprié, et en agissant enfin, sur les barrières tarifaires et extratarifaires dans le cadre d’accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux renégociés.

De même que l’intégration doit être perçue comme étant un des moyens forts de mobilisation du maximum de notre tissu économique national et d’utilisation optimale de ses capacités actuelles et potentielles, tel que ça doit être le cas d’ailleurs pour nos écosystèmes industriels actuels, qui sont déjà opérationnels et où ce besoin est béant. Ils doivent avoir un effet intégrateur de premier plan pour en faire profiter réellement notre pays.

Cinq modèles à titre d’exemple pour ce faire, à méditer dans ce cadre :

  • la création massive de Sociétés privées de Mutualisation et de Commercialisation (SMC), avec un tour de table constitué principalement, des TPME qui en font partie, pour permettre une mutualisation des approvisionnements et des ventes, dont l’impact sur leur financement, leur spectre sectoriel d’intervention et d’intégration, leur compétitivité et leur essor commercial sera considérable. Ceci a fait l’essor de l’économie japonaise sous le nom des Sogo-Shosha, et a été repris en Allemagne, en Grande Bretagne et aux Etats-Unis

Même s’il n’y a jamais de ”JAMAIS”, je me permets d’affirmer ici, que quasiment JAMAIS  des entreprises de petite taille, qui constituent plus de 90% de notre tissu économique national, n’arriveraient chacune de son côté, à maitriser leurs coûts des facteurs, leurs moyens de financement, leur intégration industrielle, leur compétitivité et à accéder aux grosses commandes publiques et privées à l’échelle nationale, et encore moins à l’échelle mondiale. 

  • la création massive d’Ateliers de Collecte et de Valorisation (ACV) et de Sociétés privées de Mutualisation et de Commercialisation (SMC) interrégionales, avec un tour de table constitué des coopératives, GIE et ateliers de collecte et de valorisation, dont l’impact sur la mise en marche et le succès d’une véritable révolution industrielle dans le monde rural autour des produits de terroir, des produits halal, des produits bio et des produits agroindustriels conventionnels, sera considérable.
  • la mise en place de Centres de Collecte et d’Approvisionnement (CCA) au cœur même des zones de production dans le Monde rural, qui serviront de maillon majeur de fluidification et de stabilisation de l’approvisionnent des industries de transformation végétale, pour mettre fin aux intermédiations négatives qui renchérissent la matière première et amènent soit à l’abandon de filières traditionnelles soit à l’approvisionnement auprès de pays tiers. Ceci a été appliqué en Espagne et lui a permis de multiplier ses exportations agroalimentaires par cinq en dix ans.

Le dénouement de la problématique de l”approvisionnement de nos industries, permettra dans le même temps, de sauvegarder l’amont agricole de filières de production où notre pays renferme des atouts réels, et d’augmenter substantiellement les volumes traités dans nos usines et donc de nos exportations, dans la mesure où nos industries tournent aujourd’hui au mieux, entre 35 et 50% de leurs capacités réelles.

  • le développement de joint-ventures autour du transport routier et maritime international qui constitue le segment focal de toute stratégie d’exportation et que notre pays soustraite malheureusement, quasi intégralement à l’international. Il nous bouffe des milliards de dhs et fait de notre pays un grand exportateur de devises à peine encaissées de nos centaines de milliers de tonnes d’exportation de primeurs, de poisson frais et j’en passe.
  • l’adaptation des infrastructures de distribution de notre énergie solaire pour en tirer l’utilisation optimale et permettre son exportation à des partenaires qui seront de plus en plus avides d’énergie verte où notre pays a brillé par son anticipation.

Tout ceci n’est pas de la substitution. Ce sont des exemples simples et éprouvés, pouvant servir de leviers d’une véritable révolution industrielle et d’un véritable essor économique, qui reposent sur une stratégie et une gouvernance économique et industrielle par la valorisation, l’intégration, la diversification, le recadrage et le ratissage. Et ça doit relever dans notre situation, du rôle d’un Etat fort, stratège, initiateur, accompagnateur, éclaireur sur les pistes de rentabilité, régulateur, investisseur, sur lequel d’ailleurs, tout le monde s’accorde aujourd’hui.

Notre potentiel de production très diversifié, mais trop peu valorisé, notre capacité industrielle peu exploitée, nos nouvelles autoroutes d’investissement que vont générer  nos sept priorités stratégiques sécuritaires, nos opportunités commerciales très peu saisies et nos fenêtres d’opportunités internationales sur un futur proche, ne demandent qu’à être reformatés et intégrés dans cette vision et cette stratégie pour mieux s’exprimer et changer complètement la donne économique et par conséquent, sociale chez nous.

Notre pays a tous les atouts pour s’engager dans la voix de cette vision stratégique, au lieu de persister à créer de l’emploi massif et de la valeur ajoutée forte plutôt chez ses marchés d’exportation, et à subventionner plutôt les industries et les consommateurs de ces marchés et ce, au dépend de sa jeunesse, de sa croissance économique et de son développement social.

L’objectif ultime d’une telle vision pour notre pays, à l’ère et au goût du 21ème siècle, va bien au-delà du simple remplacement de l’importation d’un balai Espagnol ou d’un couteau Suisse, par une fabrication locale.

Il consiste à mieux produire, créer le maximum de valeur ajoutée locale, élargir et diversifier le tissu économique national, être plus compétitif, combatif et opportuniste , importer tout ce qu’il faut, exporter toujours plus qu’il ne faut, pour développer notre pays, améliorer le bien-être de nos concitoyens, créer de l’emploi massif, équilibrer une balance commerciale structurellement déficitaire et ériger notre économie en Hub au service de multiples intérêts de Pékin à Washington, en passant par Tokyo, Moscou, Oslo, Jakarta, Canberra, Riyad, Dubaï, Berlin, Varsovie, Paris, Ankara, Bruxelles, Amsterdam, Londres, Madrid, Alger, Le Caire, Addis-Abeba, Nairobi, Dakar, Abuja, Dodoma, Pretoria, Buenos Aires, Santiago, Brasilia, Mexico et Ottawa, dans le cadre de rapports gagnant-gagnant et apaisés avec Monde.

C’est très beau, très utile, très rentable de penser universel, d’agir local, pour mieux construire et renforcer les ponts et les passerelles avec l’universel. Il ne faut pas avoir peur de l’étranger, il faut plutôt se mesurer à lui pour mieux en faire un véritable partenaire dont on prend et à qui on donne toujours plus. Sinon on dégagerait la fausse impression que l’on soit muselé par une certaine kakistocratie ou médiocratie ambiante qui entraverait notre formidable détermination actuelle à conquérir notre droit au développement et à l’universalité positive.

Débarrassé de cet amalgame inapproprié et dégradant, notre patriotisme économique rimera pleinement avec croire en son pays, avoir confiance en son pays, investir fortement dans son pays, s’inscrire dans la stratégie économique de son pays, créer de la valeur ajoutée optimale dans son pays, mettre à profit tous les atouts de son pays pour être compétitif, s’ouvrir sur le Monde, importer toutes les innovations technologiques universelles pour atteindre le niveau d’intégration industrielle optimal, saisir toutes les opportunités commerciales internationales pour exporter le maximum, rapatrier l’intégralité du fruit de ces exportations et payer l’intégralité de ses impôts.

C’est en tout cas, la voie empruntée par toutes les puissances économiques, toute taille comprise et sans exception. Patriotisme économique, création de valeur, ouverture sur la technologie et les opportunités du Monde, et exportations massives. Elles ne sont pas que puissantes et développées, elles assurent un BNB (Bonheur National Brut) à la quasi totalité de leurs populations.

Il ne manque plus à notre pays qu’à se mettre au travail, sans plus tarder ni se tromper encore de vision, de choix, de voie, de rythme et de gouvernance économiques et industriels, pour mieux valoriser et échanger toutes ses différences, mieux mettre à profit et faire valoir sa position géostratégique en plein cœur du Monde, au grand profit de l’ensemble de ses populations et de son rayonnement international.