Après le «sans faute» du combat inégal contre un coronavirus dévastateur, où l’Etat devait subitement faire face avec des moyens très limités, à un double défi sanitaire et social d’une ampleur sans précédent, le voilà retrousser, seul encore, ses manches de plus bel, pour entamer le sauvetage de notre tissu économique et ambitionner même une véritable relance.

Qui de nos néolibéraux, promoteurs inconditionnels de la suprématie du «marché», de «l’initiative privée», et d’un Etat devant être relégué à des rôles très subsidiaires, pouvait parier sur un tel revirement de situation?
Le temps d’une pandémie chaotique, les langues et les esprits se sont reformatés, partout ailleurs d’ailleurs, et l’Etat systématiquement dénigré, lynché, s’est retrouvé au centre de toutes les initiatives, de toutes les sollicitations, en sauveur unique.

Plus rien ni personne ne résiste à sa providence, pas même ses plus féroces détracteurs-fossoyeurs qui s’ingénient aujourd’hui à lui intimer «le conseil» de s’endetter à bloc et de lâcher le déficit budgétaire à son paroxysme.
Les Etats-Unis, l’Europe et même la Chine lui sont soufflés en modèles d’engagement et de prise de risque, en termes de creusement de leur endettement et de leur déficit budgétaire à des niveaux inédits, pour pouvoir injecter 15, 20% et plus même, de leur PIB dans leurs économies pour les relancer.

Outre le fait que ces comparaisons ne sont nullement raison, et n’en déplaise à nos néolibéraux, non merci, c’est ce qu’il ne faut surtout pas faire. Notre Etat reproclamé providence ne peut s’aventurer précipitamment dans un tel élan, avant que au moins trois préalables incontournables ne soient pris en compte (voir aussi encadré):

■ La solution n’est pas comptable, elle est stratégique
L’Etat ne peut hypothéquer les générations présentes et futures par des dettes en plusieurs dizaines de milliards de dollars et un déficit à deux chiffres, juste pour renflouer la trésorerie des entreprises.
Evidemment que oui à une intervention publique de très grande envergure ici et maintenant, avons-nous le choix?!!, mais dans le cadre d’un véritable «Plan national de relance économique et de développement social», porteur de sept stratégies nouvelles (sanitaire, alimentaire, énergétique, numérique, social, réserves de change et écologique) édictées par nos priorités nationales et nos ambitions internationales, moteur de croissance forte et durable, générateur d’emplois massifs et de richesses considérables, qui soit digne d’un plan Marshall, tel que j’ai eu à le proposer.
Evidemment que oui à une intervention publique de très grande envergure ici et maintenant, si ledit Plan est concomitamment accompagné d’un «Nouvel ordre social» porté par des leviers incontournables et performants, dont l’Enseignement, la Santé et la Justice, par le propulseur de la juste distribution des fruits de la croissance, par le propulseur d’une classe moyenne très élargie, par le propulseur d’un monde rural développé, et par l’amortisseur de filets sociaux solides et à mailles très serrées pour endiguer nos vulnérabilités sociales abyssales, que j’ai eu également à proposer.
Evidemment que oui à une intervention publique de très grande envergure ici et maintenant, si ledit Plan et ledit Nouvel ordre social, sont mis en œuvre dans le cadre d’une nouvelle gouvernance politique, que j’ai eu également à proposer.
Les manœuvres égocentriques criantes d’un néolibéralisme sans état d’âme, qui tente de surfer par «Etat interposé», sur une vague de la taille gigantesque du coronavirus, autrement plus haute que lui, pour mieux reprendre la main juste après, en ayant au passage, refilé la lourde facture à l’Etat et à «ses générations», n’est pas que malsain, il est malhonnête. Ce faisant, notre pays aura contribué à la reproduction des mêmes systèmes de production et de distribution, ainsi qu’aux mêmes inégalités abyssales et béantes qui rongent notre cohésion sociale.

■ L’endettement n’est pas obligation exclusive, il est une option  
Le financement des programmes cités plus haut, appelle un effort d’ingénierie financière qui sorte du carré habituel, pour prospecter et inventer un dispositif plus novateur, plus accessible, moins coûteux pour la Nation et plus efficace en termes de résultats.
De multiples montages s’offrent à nous, dont l’endettement extérieur n’est qu’une option dans une assez longue liste que j’ai antérieurement proposée, dont j’ai argumenté chacune des composantes, et dont je rappelle particulièrement ici:
l La création de cinq fonds souverains ouverts selon les cas, aux personnes physiques et morales nationales et internationales, ou alimentés par un dispositif de taxations sur les résultats financiers de secteurs et d’organismes publics et privés particuliers ou encore par la Zakat;
l la redynamisation de la Bourse de Casablanca pour qu’elle joue pleinement son rôle de marché important de financement de l’économie;
l le bouclage immédiat de l’ensemble du dispositif légal des produits dédiés aux banques participatives pour qu’elles puissent rapidement drainer les fonds dormants aux niveaux national et international, et les allouer sans plus tarder, au financement de toute sa cible. Notre pays doit ambitionner raisonnablement d’être une plateforme de la Finance participative à l’échelle mondiale. Il en a l’expertise, les moyens et le positionnement aussi bien éthique, charismatique que politique;
l l’activation du paiement des dettes interentreprises dans le cadre d’une solution quadripartite de très court terme: créanciers-débiteurs-Etat-banques;
l l’ouverture dosée, maîtrisée et en temps opportun, du capital des grandes entreprises publiques;
l les prises de participations publiques ponctuelles dans des sociétés privées stratégiques;
l les prises de participations entre entreprises privées;
l les fusions entre entreprises;
l «la vente» des atouts considérables du Maroc aussi bien auprès d’investisseurs potentiels nationaux qu’étrangers;
l la restructuration profonde des budgets de fonctionnement et d’investissement de l’Etat dans le sens de la rationalité, de l’efficacité, de la compétitivité et de la sobriété;
l la création de Sociétés privées de mutualisation et de commercialisation (SMC) avec un tour de table constitué des TPME qui en font partie, pour permettre une mutualisation des approvisionnements et des ventes, dont l’impact sur le financement, la compétitivité et l’essor commercial des entreprises sera considérable. C’est également une des fenêtres idoines d’intégration de l’informel;
l la création de Sociétés privées de mutualisation et de commercialisation (SMC) interrégionales, avec un tour de table constitué des coopératives, GIE et ateliers de collecte et de valorisation, dont l’impact sur le financement de notre révolution industrielle dans le monde rural sera considérable;
l la mise en place d’un système fiscal simple, équitable et constant, qui favorise notamment, l’offre et l’élargissement structurel de la classe moyenne;
l l’amendement des statuts de la Banque du Maroc dans le sens notamment, de sa transformation en Banque de financement de l’Etat, au titre de son endettement intérieur;
l le rachat par la Banque du Maroc de tout le stock des dettes publiques nationales, à condition qu’il soit injecté en bonne partie par ses porteurs, soit directement dans l’économie, soit indirectement dans les fonds souverains ou dans la Bourse;
l la baisse du taux directeur de la Banque du Maroc à son plus bas niveau possible pour dynamiser le financement des entreprises par le système bancaire;
l une ouverture significative du capital des banques nationales à l’investissement principalement étranger, pour renforcer leurs fonds propres et les doter de plus de capacités à financer l’économie;
l la sollicitation de dons étrangers auprès principalement des grandes puissances économiques qui assument une responsabilité éthique certaine dans les dégâts considérables que nous avons essuyé à cause de la pandémie du coronavirus;
l la sollicitation de dons et d’aides multiformes, auprès d’organisations et de fonds internationaux spécialisés;
l et le recours, le cas échéant, à l’endettement international, principalement auprès du Club de Paris, dans des conditions de taux et de durée très avantageuses. De même qu’à l’endettement auprès du FMI dans le cadre de la ligne de financement «Droits de tirages spéciaux» dédiée à des situations telles que la nôtre actuellement.

Le coronavirus n’est assurément pas qu’une malédiction qui s’est abattue sur nos têtes. Loin s’en faut. C’est un formidable moment de vérité, où l’on doit faire les choix stratégiques historiques qui s’imposent, pour qu’on soit enfin au rendez-vous avec les espérances légitimes de notre nation.

                                                                                         

La citoyenneté n’est pas paroles, elle est éthique 

L’Etat ne peut hypothéquer les générations présentes et futures par des dettes en plusieurs dizaines de milliards de dollars et un déficit à deux chiffres, juste pour les beaux yeux d’entreprises qui ne paient même pas leurs impôts.
Faut-il rappeler ici que moins de 2% de nos entreprises paient plus de 80% de l’impôt sur les sociétés?

L’on me dirait que les entreprises qui ne gagnent rien, paient quand même la contribution minimale. Je rétorque que la contribution minimale est une solution détournée, insuffisante et insensée, à une situation malsaine, inacceptable et immorale.

L’Etat a besoin de recettes conséquentes et équitablement prélevées auprès de TOUS les contribuables, pour être au rendez-vous de nos besoins collectifs. De même que les entreprises, TOUTES les entreprises, ont le devoir de s’acquitter de leurs impôts comme expression de citoyenneté et d’engagement individuel pour la collectivité.

Notre Etat a grandement et urgemment besoin de disposer des moyens nécessaires pour financer ses prestations sociales qui doivent être performantes, suffisantes et gratuites, pour financer le nécessaire élargissement d’une classe moyenne et épanouissement d’un monde rural, locomotives de notre développement économique et social, et pour financer des filets sociaux étanches et porteurs de dignité, à mêmes de ne plus permettre la moindre vulnérabilité du moindre citoyen que compte notre nation.

Evidemment que oui à une intervention publique de très grande envergure ici et maintenant, si elle est concomitamment accompagnée d’un sursaut citoyen où chacune de nos entreprises s’acquitte de sa dette envers la collectivité. A l’instar du «consommons marocain», porté à juste titre aujourd’hui par nos élites et nos… entreprises, nous devons porter haut et fort et avec la même vigueur le «payons nos impôts».

Pour ce faire, et pour que cessent aussi bien les déclarations creuses et obsolètes de volonté d’élargissement de l’assiette fiscale, que les bonnes intentions sans lendemain, il est temps aujourd’hui que l’on se libère d’un système fiscal inefficace et injuste, pour baser le paiement de l’IS plutôt sur le chiffre d’affaires que sur le bénéfice, sur la base de taux à définir, et de verrouiller les transactions en noir et les fausses factures.